Monde virtuel et vraie vie

Je souhaite partager avec vous 4 remarques tirées de mon expérience à la tête de la communication gouvernementale :

1-    Sur les sondages d’abord. Une opinion, c’est complexe, paradoxal, difficile à déchiffrer. Il faut beaucoup d’expérience, de connaissances, de prudence. Les sondeurs le savent. C’est pourquoi, la communauté de la communication et des médias doit s’interroger sur les conditions d’exploitation des sondages, sans aucune précaution, dans l’instantanéité médiatique.

Prenons l’actualité sur les retraites.

En simplifiant, mais c’est une bonne façon d’aller à l’essentiel, si vous demandez aux Français s’il faut réformer les retraites et le faire maintenant, ils disent oui. Vous noterez, au passage, qu’il y a là une rencontre exceptionnelle entre le volontarisme du Président et de l’exécutif et la conversion des Français à l’idée même de réforme. C’est une évolution culturelle majeure qu’on ne souligne pas assez.
Si vous leur demandez s’ils sont favorables à la réforme ou enchantés à l’idée de travailler 2 ans de plus, ce qui revient au même ; incroyable, ils répondent non.
Si vous leur demandez si, au fond d’eux-mêmes et tout compte fait, il faut bien en passer par là, ils vous répondent oui.
Et enfin, si vous les interrogez sur une alternative possible, ils vous répondent qu’il n’y en a guère.

Toute analyse d’une seule donnée est partielle, voire partiale, voire manipulatrice et bien sûr analyser le tout n’a pas assez d’impact pour faire la Une.

L’idée même de bataille de l’opinion perdue ou gagnée qui fleurit ici ou là est donc simpliste ou virtuelle. Ce que nous savons, en tout cas, c’est que la communication sur les retraites a ancré le consensus sur les enjeux, la nécessité de réformer, et que c’est bien l’un de ses rôles.

2ème remarque, elle concerne les experts. Il y en a d’excellents mais pour le reste, vous savez ce que l’on dit du consultant, c’est quelqu’un qui vous vend très cher des idées qu’il est incapable de mettre en œuvre pour lui-même. L’expert, bien souvent, c’est quelqu’un qui, pour être audible et médiatique, doit forcément vous annoncer le pire.
Vous avez entendu comme moi ces pseudo-experts, en exploitant un aspect justement partiel de l’opinion sur les retraites, nous dire que les Français étaient au bord de la révolte. C’est, toute proportion gardée, la même irresponsabilité que d’appeler les jeunes à descendre dans la rue.

3ème remarque, il existe une spécialité assez française. Je pense à la cohorte des dézingueurs qui font commerce de la critique permanente et du déclinisme. Je pense à tous ceux qui s’acharnent à cultiver le pessimisme, exploiter le moindre dysfonctionnement, tirer sur tout ce qui bouge et participent à une véritable entreprise de démoralisation nationale.

4ème et dernière remarque : tous ces facteurs : multiplication des sondages exploités à des fins événementielles, experts en quête de sensationnel, tendance au dénigrement se cumulent pour nous entraîner dans une sorte de frénésie plus accentuée encore par l’instantanéité du net.

Tout cela influence, bien sûr, pour partie l’opinion, l’humeur collective et nous entraîne dans une sorte de jeu, une fiction face à laquelle, comme disait Baudrillard, « le réel lui-même devient un grand corps inutile ».

Déjà, on parlait hier de la différence possible entre pays légal et pays réel. Nous voici face au risque d’une divergence entre un monde virtuel et la vraie vie.

On tiendrait peut-être là la clef de cette énigme française :

• Entre un « je individuel » parmi les plus optimistes du monde – 80 % des Français se déclarent heureux dans leur vie personnelle –

• et un « nous collectif » parmi les plus déprimés du monde – la grande majorité des Français déclarant que tout va plus mal.

Il y a certainement beaucoup d’explications que je m’efforce d’explorer à commencer par le fait, comme le disait à peu près Jules Renard,  que ce n’est pas le tout d’aller bien, mieux vaut aussi que les autres aillent mal.

Mais on peut aller plus loin : il y aurait d’un côté la vraie vie, la sphère personnelle, le proche, l’authentique et puis un univers collectif pour partie virtuel dans lequel s’exprimerait sans retenue une défiance réelle ou supposée.

Je n’en veux qu’une preuve : le prétendu rejet de la politique alors qu’elle reste le sport favori des Français et qu’en réalité, ce qui change, ce sont les formes d’appartenance et d’expression.

Si la communication publique doit être plus forte et plus réactive, c’est aussi et peut-être surtout pour montrer ce qui change, ce qui progresse, les verres à moitié pleins, tous les trains qui arrivent à l’heure dans la vraie vie et même par temps de grève.

Et, sur ce point, ne nous leurrons pas. Les moyens de la communication de l’Etat à tous les étages, que l’on estime aujourd’hui à 0,086 % de son budget global sont, non seulement infimes par rapport à une marque commerciale, mais sans commune mesure avec ceux d’un département ou d’une région dont certains élus se font une spécialité de critiquer la moindre de nos initiatives.

Il faut certes faire des économies mais lorsqu’on réduit ses dépenses, il faut plus encore s’expliquer, communiquer et renforcer la dynamique interministérielle. La communication publique n’est ni un luxe quand tout va bien, ni le SAMU en cas de crise. C’est une longue patience, un investissement productif d’information des citoyens et donc de démocratie.

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